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  • L’erreur prolongée de Pascal Boniface : quand l’analyse géopolitique Française s’enferme dans ses propres schémas

    Avant-propos

    Il ne s’agit pas ici de contester pour contester, ni de remettre en cause une carrière, mais plutôt de s’interroger une grille de lecture dont les fondements ne tiennent plus. Aujourd’hui, Pascal Boniface incarne un courant analytique qui traverse une partie des cercles géopolitiques français : celui qui refuse d’actualiser ses grilles de lecture face aux évolutions brutales des rapports de force contemporains. Pourtant, Pascal Boniface a longtemps incarné cette fonction salutaire d’empêcheur de tourner en rond, en interrogeant les angles morts des récits dominants. C’est justement pour cette raison que sa position actuelle interroge : l’histoire l’a placé dans le rôle qu’il dénonçait, et il appartient désormais à d’autres de prolonger ce geste — y compris contre lui. À travers cette figure emblématique, c’est donc une critique systémique du champ analytique français que nous proposons.

    I. Une lecture des intentions russes déconnectée du réel

    Le faux diagnostic sur les motivations du Kremlin

    Dans sa vidéo du 11 juillet 2025 intitulée « Pourquoi Poutine refuse l’offre de Trump sur l’Ukraine ? », Pascal Boniface avance l’hypothèse selon laquelle « Moscou semble engagée dans une logique de maximisation des gains militaires et politiques. Le Kremlin estime que l’Ukraine est prête à céder, qu’il peut engranger des conquêtes territoriales et provoquer un changement de régime ». Cette lecture présentée comme rationnelle passe à côté d’une réalité fondamentale : pour le Kremlin, la guerre n’est plus un simple dérèglement à corriger. Elle est devenue un état naturel de fonctionnement.

    L’erreur est donc double. D’abord, elle sous-estime la capacité du pouvoir russe à grimer toute situation désavantageuse en victoire narrative. Le régime ne craint pas d’avoir à justifier les évolutions du conflit : il dispose des instruments de propagande pour présenter même un recul comme un succès stratégique, comme il l’a fait avec le retrait de Kherson ou l’échec de la prise de Kiev. Narrateur et commentateur des faits pour son public, il décide de la réalité des faits, sans contradiction. Ensuite, cette analyse ignore la logique profonde du système poutinien : la guerre est devenue le but de la guerre, car elle structure l’ordre interne et garantit l’inertie du régime.

    Cette approche révèle également la persistance d’un cadre d’analyse occidental classique qui projette ses propres logiques sur un adversaire qui fonctionne selon d’autres logiques. Quand Boniface évoque une « logique de maximisation », il applique un raisonnement de type coûts-bénéfices là où le Kremlin opère selon une logique de survie systémique.

    L’aveuglement collectif des analystes français

    Cette erreur de diagnostic n’est pas isolée. Elle s’inscrit plutôt dans un travers diffus du champ analytique français : nous appliquons une rigueur critique sélective selon les acteurs étudiés. Les intentions américaines sont déconstruites, les stratégies de l’OTAN disséquées, car elles nous sont compréhensibles. Mais lorsqu’il s’agit du Kremlin, tout est présenté comme une réaction légitime, ou un simple malentendu.

    Ce double standard révèle l’influence persistante d’un tropisme qui peine à intégrer les évolutions géopolitiques contemporaines. De nombreux analystes formés dans les années 1970-1980 continuent d’appliquer des grilles d’analyse forgées dans le contexte de la guerre froide, où la critique de l’hégémonie américaine constituait un angle mort nécessaire et légitime. Aujourd’hui, cette posture devient un handicap analytique lorsqu’elle nous empêche de voir les dynamiques impérialistes assumées d’autres puissances.

    II. Une mésinterprétation de la stratégie diplomatique ukrainienne

    La méprise sur les signaux de Kiev

    Pascal Boniface interprète régulièrement les gestes d’ouverture diplomatique de la présidence ukrainienne comme les signes d’un basculement stratégique. Dans son analyse d’avril 2024, il suggèrait déjà que « Volodymyr Zelensky était prêt à faire un compromis avec Vladimir Poutine qui aurait remis les questions territoriales à plus tard au profit d’un cessez-le-feu immédiat », ajoutant : « L’Ukraine ne serait-elle pas en meilleure position aujourd’hui si elle avait accepté ces compromis jugés honteux à l’époque ? »

    Cette lecture passe à côté de la finesse de la diplomatie ukrainienne, bien mieux expérimentée et armée que nous pour naviguer dans le brouillard de guerre diplomatique du Kremlin. Lorsque Zelensky évoque la possibilité de discussions, ce n’est pas pour concéder, mais pour exposer l’inflexibilité russe. Cette ouverture constitue une démonstration destinée à révéler les véritables intentions du Kremlin et à déjouer les accusations d’intransigeance ukrainienne. Comme l’a clairement réaffirmé le président ukrainien en juin 2025 : « Notre délégation n’a pas le mandat pour discuter la souveraineté et l’intégrité territoriale » (Meduza, 11 juin 2025).

    Cette confusion savamment suggérée et poussée par le Kremlin finit par alimenter l’idée que la solution est à portée de main, si seulement l’Ukraine faisait un pas supplémentaire. C’est donc une faute majeure que de se laisser guider sur cette lecture, quand la réalité des faits démontre la vacuité de cette interprétation.

    Il ne faut pas sous-estimer les « petits » acteurs

    Cette méprise révèle un défaut plus profond : la tendance de nombreux analystes occidentaux à considérer les acteurs « périphériques » comme moins sophistiqués dans leurs stratégies. L’idée que la diplomatie ukrainienne puisse être plus subtile  que ne le suggèrent ses déclarations publiques semble échapper à certains observateurs.

    Ce biais s’étend à l’ensemble du champ analytique français, et même au-delà. Une vision hiérarchisée des capacités stratégiques persiste, selon laquelle seules les grandes puissances seraient capables de manœuvres diplomatiques élaborées. Cette approche conduit à sous-estimer systématiquement les États « moyens » et à mal interpréter leurs signaux.

    III. La cristallisation d’un paradigme obsolète :
    le postulat des concessions territoriales

    L’idéologie du « pragmatisme »

    Le cœur de l’erreur bonifacienne réside dans un postulat ancien qui resurgit à chaque crise : l’idée selon laquelle la paix devrait fatalement passer par des concessions territoriales. Dans son analyse d’avril 2024, il écrivait : « Un cessez-le-feu, à l’heure actuelle, signifierait le maintien de conquêtes territoriales opérées par la Russie depuis le 24 février 2022 et même depuis 2014 puisque la souveraineté de la Russie sur la Crimée n’est pas reconnue ». Pourtant, il s’interroge : « Peut-être qu’un jour l’Ukraine acceptera cela. Et pour quels résultats la guerre aura-t-elle été prolongée ? Pour des morts supplémentaires tant du côté ukrainien que du côté russe ».

    Ce raisonnement, présenté comme un pragmatisme lucide, passe complètement à côté des enseignements de l’histoire récente. Car chaque territoire abandonné, qu’il s’agisse de la Tchétchénie, de la Géorgie, de la Crimée, et encore du Donbass, n’a pas stabilisé la situation. Au contraire, ils ont été perçus comme autant de signaux d’impunité, préparant le conflit suivant. Comme le souligne Marlene Laruelle, la normalisation du précédent géorgien a préparé le terrain pour la Crimée, qui elle-même a nourri l’intervention dans le Donbass.

    Cette logique repose sur une mécompréhension fondamentale : elle confond paix et interruption, négociation et capitulation. Elle ignore la dynamique impérialiste assumée du régime russe et applique des principes de résolution classique à un acteur qui ne vise pas la résolution, mais la révision de l’ordre international.

    L’illusion persistante du « dialogue avec Moscou »

    Cette approche s’appuie sur un mythe tenace, celui selon lequel la Russie n’aurait pas été « considérée » par l’Occident. Boniface, comme d’autres, développe régulièrement cet argument en suggérant que « la politique américaine a beaucoup fait pour antagoniser Poutine et lui donner le sentiment que la Russie avait été humiliée après la fin de la Guerre froide ».

    Or cette affirmation est démentie par des décennies de coopération : la création du Conseil OTAN-Russie en 1997, l’admission au G8, les multiples « reset » diplomatiques, les partenariats énergétiques européens. À chaque étape, Moscou a fini par détourner, geler ou instrumentaliser ces ouvertures. Ce n’est pas le manque de dialogue qui a mené à l’agression, c’est l’agression qui a sapé le dialogue.

    La généralisation du syndrome dans le champ analytique français

    Ce réflexe de l’excuse, travesti en lucidité stratégique, traverse l’ensemble du champ géopolitique français. Il révèle la persistance d’une culture analytique qui privilégie systématiquement l’explication par les « causes profondes » occidentales, causes qu’il n’hésite pas à créer de toute pièce si elles manquent à son raisonnement, plutôt que de simplement admettre la responsabilité des acteurs non-occidentaux.

    De l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) au Monde Diplomatique, nombreux sont les commentateurs et analystes qui reproduisent cette grille de lecture. Cette approche témoigne d’une difficulté à intégrer la fin de l’exceptionnalisme occidental sans tomber dans l’angélisme envers ses challengers.

    IV. La dérive méthodologique : quand l’erreur devient système

    L’incapacité à la remise en cause

    Ce qui frappe chez Pascal Boniface, comme chez nombre de ses pairs, ce n’est pas tant l’erreur initiale que l’incapacité à la corriger. Ainsi, malgré l’invasion du 24 février 2022 qui contredisait frontalement ses pronostics (il déclarait dans L’Echo le 24 décembre 2021 que « la Russie n’a aucune envie de conquérir le Donbass, dont elle ne saurait pas faire grand-chose » et évoquait une « hystérisation de la politique américaine à l’égard de Moscou ») le cadre interprétatif demeure inchangé.

    Cette rigidité révèle une dérive professionnelle profonde et dangereuse : le passage de l’analyse à la défense d’une ligne. Quand le réel contredit le modèle, c’est le réel qui est réinterprété pour sauver le modèle. Cette démarche transforme l’analyste en commentateur idéologique, compromettant sa fonction d’éclairage du débat public. Pire, elle nous rend aveugle, en ceci que nous sommes entretenus dans l’impression de toujours suivre une analyse souveraine et réaliste, là où il n’y a plus qu’un écho de la diplomatie adverse.

    L’enjeu de la parole d’autorité

    Cette dérive n’est pas seulement intellectuelle mais institutionnelle. Elle devient politique dès lors qu’elle confère une apparence de légitimité à des récits stratégiques promus par des puissances hostiles. En ne prenant pas acte des dynamiques profondes du régime russe, certaines analyses cautionnent parfois, malgré elles, un narratif d’équivalence morale qui affaiblit la compréhension des enjeux.

    L’autorité médiatique acquise par certaines figures analytiques leur confère une responsabilité particulière. Quand leurs analyses se révèlent systématiquement fausses sur des enjeux majeurs, c’est la crédibilité de l’ensemble du champ qui s’en trouve affectée. Il devient donc nécessaire, pour les institutions comme pour les observateurs, de réévaluer les figures qu’elles ont consacrées.

    V. Le Monde Diplomatique : laboratoire de l’erreur systémique

    Un cas d’école de déformation analytique

    Le mensuel dirigé par Serge Halimi illustre parfaitement les dérives évoquées à travers l’exemple de Pascal Boniface. La couverture du conflit ukrainien par Le Monde Diplomatique révèle les mêmes biais structurels, mais de manière plus assumée et systématique.

    Dans leur article de mars 2023 « Les médias, avant-garde du parti de la guerre », Serge Halimi et Pierre Rimbert trouvent le moment propice pour pointer surtout la menace de l’hégémonie américaine, tout en développant « une campagne en faveur de la destruction économique et militaire de la Russie ». Cette approche reflète exactement la même inversion des priorités analytiques : au lieu d’analyser l’agression russe, l’accent est mis sur la critique de la réponse occidentale.

    Plus révélateur encore, la couverture de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, notamment des éditoriaux de Serge Halimi et Pierre Rimbert, sont critiqués par Médiapart en novembre 2022 comme reprenant « des arguments typiques de la rhétorique poutiniste sur la présence nazie en Ukraine », ainsi que pour leur mise en cause des sanctions économiques occidentales, ou la question de l’envoi d’armes à l’Ukraine.

    La méthode diplomatique : une symétrie pathologique

    La stratégie du Monde Diplomatique consiste à noyer l’agression russe dans une mise en perspective historique qui finit par la relativiser. Comme le note Politis dans sa réponse aux accusations du « Diplo » : « À trop vouloir invoquer les injustices et les crimes d’hier, et d’ailleurs, on risque de relativiser la tragédie ukrainienne ».

    Cette méthode révèle une conception particulière du journalisme « critique » qui consiste à systématiquement chercher les responsabilités occidentales dans chaque crise internationale. Halimi et Rimbert invoquent le rapport Wolfowitz de 1992 quand, ivres de leur puissance, les néoconservateurs affirmaient que « l’ordre international est en définitive garanti par les États-Unis ». Mais comme le souligne justement Politis, « le monde a bien changé en trente ans. Si les États-Unis sont toujours la première puissance militaire, ils sont contestés par la Russie, la Chine et même la Corée du Nord ».

    L’instrumentalisation de la critique médiatique

    Le Monde Diplomatique va plus loin en développant une critique des médias occidentaux qu’il accuse d’être devenus « l’avant-garde du parti de la guerre ». Cette posture permet d’évacuer le débat sur le fond sur l’agression russe et ses conséquences, au profit d’une critique de forme sur le traitement médiatique.

    Cette stratégie n’est pas neutre : elle participe d’un écosystème narratif qui minimise l’agression russe en déplaçant le focus sur les « excès » de la solidarité occidentale avec l’Ukraine. L’influence du mensuel, particulièrement dans les milieux éducatifs et intellectuels de gauche, amplifie l’impact de cette déformation analytique.

    Un réseau d’influence convergent

    L’exemple du Monde Diplomatique révèle l’existence d’un réseau analytique qui partage les mêmes biais et se renforce mutuellement. L’Observatoire du journalisme, association d’extrême droite de critique des médias, rédige plusieurs textes élogieux sur le journal, notamment pour sa critique de « l’OTAN et de l’Union européenne tout en promouvant la neutralité dans le conflit ».

    Cette convergence entre extrême gauche et extrême droite sur la question ukrainienne n’est pas fortuite : elle révèle un socle commun de critique de l’ordre occidental libéral qui transcende les clivages politiques traditionnels. Pascal Boniface, Le Monde Diplomatique et leurs héritiers participent, consciemment ou non, de cet écosystème narratif.

    Conclusion : l’urgence d’une refondation analytique

    Diagnostic : l’échec d’une génération d’analystes

    Le cas de Pascal Boniface, amplifié par l’exemple du Monde Diplomatique, révèle l’échec d’une partie d’une génération d’analystes à comprendre les mutations géopolitiques contemporaines. Formés dans un monde bipolaire où la critique de l’hégémonie américaine constituait un nécessaire contrepoids, ils peinent à intégrer un monde multipolaire où d’autres puissances développent leurs propres logiques impérialistes.

    Cette génération a construit sa légitimité sur la dénonciation des « aventures » occidentales, posture qui était souvent justifiée. Mais elle se révèle inadaptée face à des défis géopolitiques qui ne rentrent plus dans cette grille de lecture précise. L’agression russe contre l’Ukraine, après celles en Géorgie et en Tchétchénie, constitue un ultime test révélateur : elle expose l’inadéquation de paradigmes analytiques devenus largement obsolètes.

    L’enjeu démocratique de la qualité analytique

    Cette crise analytique dépasse les cercles d’experts : elle affecte la capacité démocratique à comprendre le monde contemporain. Quand les figures d’autorité du champ géopolitique français se trompent systématiquement sur les enjeux majeurs, c’est l’ensemble du débat public qui s’en trouve affaibli.

    À l’heure où la guerre ne se joue plus seulement sur les champs de bataille mais dans les esprits et les récits, il ne s’agit plus seulement d’avoir raison : il s’agit d’être lucide, réellement. Les sociétés démocratiques ont besoin d’analyses fiables pour éclairer leurs choix, sans quoi l’erreur originelle deviendrait une défaillance civique profonde.

    Vers un renouvellement nécessaire

    La refondation du champ analytique français passe par plusieurs exigences : d’abord, l’acceptation que les grilles de lecture forgées au XXe siècle ne suffisent plus à comprendre les enjeux du XXIe. Ensuite, la reconnaissance que la critique de l’Occident, si nécessaire soit-elle, ne doit pas conduire à l’angélisme envers ses challengers. Enfin, l’exigence que l’analyse géopolitique retrouve sa fonction première, c’est à dire éclairer le réel plutôt que défendre une ligne tracée.

    Cette refondation implique aussi de nouveaux critères d’évaluation : la capacité prédictive, l’adaptation aux faits nouveaux, la remise en cause des paradigmes défaillants. Il s’agit de passer d’un champ analytique fondé sur l’autorité acquise à un champ fondé sur la pertinence démontrée.

    Car lorsque l’erreur se prolonge, se réplique, se durcit au lieu de s’amender, elle cesse d’être une simple divergence d’interprétation pour devenir un angle mort systémique. Et dans un monde en mutation rapide, les angles morts deviennent des pièges fatals.

  • Réponse à la vidéo du Monde sur les symboles nazis en Ukraine

    Avant-propos

    Il convient d’abord de saluer le travail remarquable du Monde et de Sébastien Bourdon dans la couverture du conflit ukrainien. Traiter ce sujet sous tous ses angles, y compris les plus dérangeants, relève d’une exigence journalistique essentielle qui n’est jamais facile à assumer. Cette enquête vidéo, méthodique et rigoureuse, témoigne de cette volonté de ne pas édulcorer une réalité complexe, même lorsqu’elle peut alimenter des instrumentalisations. C’est précisément parce que ce travail mérite respect et attention qu’il appelle aussi un éclairage complémentaire.

    Nationalisme en première ligne : effet de concentration

    Le reportage insiste : « Nous avons repéré des saluts nazis, des croix gammées, des emblèmes de la SS sur les uniformes ou tatouages de centaines de combattants ». Ce chiffre — « plusieurs centaines » — concerne, selon la vidéo, une « concentration notable au sein de la 3ᵉ brigade d’assaut », héritière du bataillon Azov.

    En temps de guerre, il est courant que les éléments les plus radicaux et les nationalistes convaincus convergent vers les unités de première ligne. Comme l’explique l’historien Anton Shekhovtsov, « les conflits armés tendent à attirer une surreprésentation d’individus issus de mouvances extrémistes, sans que cela ne reflète la société civile dans son ensemble » (Russia and the Western Far Right: Tango Noir, Routledge, 2018). Les chiffres électoraux le confirment : lors des législatives ukrainiennes de 2019, l’extrême droite n’a réuni que 2 % des suffrages, et seulement 1,6 % à la présidentielle (source : OSCE, 2019 ; Shekhovtsov, 2021). Ce contraste entre leur visibilité militaire et leur marginalité politique est documenté dans plusieurs travaux universitaires (ex : Pikulicka-Wilczewska & Sakwa, Ukraine and Russia: People, Politics, Propaganda and Perspectives, 2015), et s’explique aussi par le travail de propagande ennemie, par exemple depuis 2014 avec l’opération Secondary Infektion qui fait l’objet d’un rapport documenté par Graphika.

    Symboles : distinguer usage, origine et signification

    La vidéo du Monde précise s’être « concentrée sur les symboles explicitement nazis : croix gammée, 88, Totenkopf, emblèmes SS », excluant volontairement les symboles d’origine nordique ou païenne souvent présents dans l’imaginaire nationaliste européen. Sur ce point, la nuance est essentielle, et la note des sources sur cryptpad exprime bien cette précaution salutaire. De nombreux travaux de sciences sociales (cf. Per Anders Rudling, « The Return of the Ukrainian Far Right », New Eastern Europe, 2019) soulignent que certains de ces symboles, comme le « wolfsangel » ou la rune « I », précèdent historiquement l’idéologie nazie et peuvent relever d’une récupération néo-païenne ou du rejet de l’influence russe plus que d’une adhésion à la doctrine nazie.

    La vidéo elle-même reconnaît cette ambiguïté : « Le ‘wolfsangel’ inversé est aussi un ancien emblème de la culture ukrainienne, utilisé bien avant la Seconde Guerre mondiale ». Cela n’annule pas la portée potentiellement problématique de son usage actuel, mais souligne la nécessité de distinguer les référents symboliques pour éviter l’anachronisme ou la confusion.

    Promesses d’assainissement vs. persistance des symboles

    Le Monde rappelle que « la 3ᵉ brigade d’assaut avait pourtant promis de policer son image », mais constate que « certains de ses soldats continuent d’afficher une symbolique et des références nazies ». Cette tension entre communication officielle et réalité du terrain est documentée par plusieurs chercheurs (Shekhovtsov, 2022 ; Umland, 2019), qui soulignent la difficulté d’assainir rapidement l’image d’unités issues de l’histoire tourmentée de l’ultranationalisme ukrainien.

    Il faut ici rappeler la divergence de perception : en Europe occidentale, le nazisme reste associé à une idéologie génocidaire, antisémite et autoritaire ; dans l’espace post-soviétique, il désigne avant tout l’ennemi occidental de la « Grande Guerre patriotique » (voir Serhii Plokhy, The Gates of Europe: A History of Ukraine, Basic Books, 2017). La propagande russe s’appuie systématiquement sur cette confusion sémantique pour accuser l’Ukraine de néonazisme, alors même que les éléments disponibles ne permettent pas d’identifier, dans ces unités, ni projet antisémite, ni volonté de régime autoritaire, ni intention génocidaire.

    Symboles problématiques : un risque informationnel majeur

    Il ne s’agit pas de minimiser la gravité de la présence de tels symboles. La vidéo du Monde démontre que ce problème existe et qu’il est exploité, notamment dans la guerre informationnelle. Comme le souligne la chercheuse Jade McGlynn : « La Russie instrumentalise chaque image, chaque témoignage de symboles nazis pour délégitimer la résistance ukrainienne et justifier sa propre guerre » (Russia’s War, Polity Press, 2023). L’Ukraine, en tolérant ces signes, même minoritaires, s’expose à une fragilisation majeure de sa légitimité internationale.

    Pour une analyse qui évite le double piège :
    banalisation ou instrumentalisation

    La vidéo du Monde révèle une réalité documentée et problématique. Mais pour l’analyser sérieusement, il faut distinguer :

    • la surreprésentation des extrêmes dans les unités combattantes,
    • l’ambiguïté des symboles historiques dans un contexte de guerre identitaire,
    • la discordance persistante entre communication officielle et pratiques de terrain,
    • l’exploitation systématique de ces faits dans la guerre de l’information menée par la Russie.

    L’approche rigoureuse impose de contextualiser sans excuser, et de distinguer la réalité du terrain de la narration instrumentalisée. C’est le seul moyen d’éviter à la fois la banalisation du phénomène et la manipulation médiatique qui en découle.

  • Opération Infektion : la rumeur qui a contaminé le monde

    17 juillet 1983, New Delhi.

    Un quotidien anglophone publie une lettre anonyme explosive : le virus du sida serait une arme biologique créée par l’armée américaine. Cette « révélation » va faire le tour du monde et marquer l’histoire de la désinformation. Décryptage d’une manipulation qui résonne encore aujourd’hui.

    Quand un faux courrier vaut un vrai chaos

    L’histoire commence par un mensonge parfaitement orchestré. Dans The Patriot, un journal de New Delhi, une lettre prétendument signée par un « anthropologue américain de renom » affirme que le VIH aurait été créé dans les laboratoires militaires de Fort Detrick, dans le Maryland.

    Sauf que cette lettre n’a jamais été écrite par un scientifique américain. Elle sort tout droit des bureaux du Service A du KGB, l’unité soviétique spécialisée dans les « mesures actives » – comprenez : la manipulation d’opinion à grande échelle.

    Pourquoi commencer par l’Inde ? Le choix n’est pas innocent. The Patriot est un journal militant, historiquement financé par Moscou, dans un pays non-aligné où l’anti-impérialisme américain trouve un écho favorable. Premier coup de génie tactique des manipulateurs : choisir le terrain le plus fertile. Car quand on veut mentir efficacement, on commence toujours par dire aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre.

    Rumeur : mode d’emploi version soviétique

    Ce qui suit relève du génie tactique. En 1985, la rumeur ressort dans Literaturnaya Gazeta, un hebdomadaire soviétique à grand tirage. Mais attention : les rédacteurs ne citent pas le KGB. Ils se contentent de reprendre une « source indépendante indienne » – l’art de la citation circulaire à l’état pur.

    L’effet domino est immédiat :

    Berliner Zeitung (Allemagne de l’Est) republie l’information

    Trybuna Ludu (Pologne) embraye

    Rabotnichesko Delo (Bulgarie) suit le mouvement

    Rudé Právo (Tchécoslovaquie) complète la chaîne

    À chaque étape, le récit s’enrichit, gagne en crédibilité, et surtout… efface ses traces. Comme une poupée russe inversée : plus on ouvre, moins on voit l’origine. La désinformation parfaite ne doit jamais laisser ses empreintes.

    La blouse blanche, c’est pratique pour salir l’info

    Pour donner du poids à leur théorie, les services soviétiques mobilisent Jakob Segal, biologiste est-allemand. Mission : produire une caution scientifique à la rumeur.

    Il produit une brochure pseudo-scientifique tirée à 10 000 exemplaires, bourrée de données tronquées mais suffisamment technique pour impressionner. Le tour de force est là : offrir aux médias communistes un alibi parfait. Ils ne relaient plus une rumeur, ils citent « un scientifique reconnu ».

    Dans l’écosystème de la désinformation, une blouse blanche vaut tous les passeports.

    D’un bureau du KGB à 40 pays : itinéraire d’une fake news

    Les services alliés du KGB reçoivent leurs consignes : diffuser le narratif via tous les canaux possibles. Réseaux étudiants, syndicats, presses militantes, ambassades… La rumeur voyage désormais en business class avec passeport diplomatique.

    Le bilan est saisissant : fin 1986, le récit circule dans plus de 40 journaux ou radios sur trois continents. Dans les pays du Sud, où le sida frappe durement et où la méfiance envers Washington est forte, l’histoire d’une « arme biologique yankee » trouve un terreau particulièrement fertile. C’est là que la géopolitique fait le lit de la désinformation.

    La science face au buzz : match perdu d’avance ?

    Face à cette déferlante, les États-Unis tentent de réagir. Le CDC et l’OMS publient des communiqués expliquant l’origine naturelle du VIH. Une conférence est organisée à Genève. Le Department of State met en place une cellule de riposte.

    Mais voilà le problème fondamental : comme le rappelle la loi de Brandolini, il faut dix fois plus d’énergie pour réfuter une absurdité que pour la produire. La vérité scientifique peine à contrer une rumeur émotionnelle qui épouse parfaitement les récits préexistants de domination occidentale.

    Dans le duel entre vérité et mensonge, la fausse information court toujours le 100 mètres quand la vérité fait encore ses lacets.

    Le rideau tombe, les archives parlent

    La chute du mur de Berlin va révéler l’ampleur de la manipulation :

    • 25 octobre 1990 : Oleg Kalugin, ancien général du KGB, reconnaît publiquement que l’histoire du sida fabriqué provient du Service A
    • 1990 : Les archives de la Stasi révèlent le nom de code de l’opération : Denver
    • 1995 : Un rapport déclassifié de la CIA confirme que plus de 50 pays ont été exposés à la rumeur

    Fake news 2.0 : la vieille soupe dans de nouveaux tuyaux

    L’opération Infektion n’est pas qu’un vestige de la guerre froide. Elle constitue un véritable manuel d’instructions toujours utilisé aujourd’hui.

    Sa recette ?

    1. Injection : une source marginale mais crédible
    2. Amplification : des relais qui masquent l’origine
    3. Légitimation : une caution pseudo-scientifique
    4. Diffusion : une propagation multilingue et multiculturelle
    5. Camouflage : l’effacement des traces

    Cette mécanique, on la retrouve dans les campagnes contemporaines : théories complotistes sur le Covid, interférences électorales, instrumentalisation de conflits internationaux. Et plus récemment encore, les rumeurs qui se sont enchainées au sujet des Jeux Olympiques de Paris, introduites dès 2023 pour un effet amplifié au moment de l’ouverture des jeux. Seuls les canaux ont changé – réseaux sociaux, messageries cryptées – mais la structure reste identique.

    L’école du fake : leçons gratuites, conséquences payantes

    Cette histoire révèle une vérité dérangeante : la désinformation efficace ne repose pas sur la qualité du mensonge, mais sur la maîtrise chirurgicale des failles cognitives, des tensions géopolitiques, et des récits disponibles.

    Le KGB n’a pas inventé l’anti-américanisme, ni le SIDA. Il s’est contenté de les exploiter avec une précision redoutable. L’art de la désinformation, c’est savoir surfer sur les vagues existantes plutôt que d’en créer de nouvelles.

    Dans un monde saturé d’informations, notre plus grande vulnérabilité n’est donc pas de croire une information fausse. Mais de la croire parce qu’elle nous conforte dans nos convictions. Le biais de confirmation reste l’un des ennemis les plus tenaces de l’esprit critique.

    La désinformation la plus efficace n’est jamais celle qui nous dérange. C’est celle qui nous donne raison.

    Comprendre les mécanismes de la désinformation est le premier pas vers une meilleure immunité informationnelle. L’opération Infektion nous rappelle qu’hier comme aujourd’hui, la vigilance critique reste notre meilleure défense.

  • L’ingérence, c’est les autres

    Quand l’accusateur devient l’accusé

    Ces dernières semaines, une campagne d’accusations vise la France. Sur Telegram et dans l’écosystème pro-Kremlin, Paris est accusé d’ingérence dans les élections roumaines. Les « preuves » ? Des extraits de messages anonymes, des citations non sourcées, des documents sans origine traçable.

    Aucun média indépendant n’a confirmé leur authenticité. Seuls des sites alignés sur les intérêts russes relaient ces allégations.

    Pendant ce temps, une autre réalité émerge, celle-ci solidement documentée. Lors de la présidentielle roumaine de 2024, une opération d’influence orchestrée depuis la Russie a été révélée par des enquêtes internationales. Le réseau AdNow, déjà impliqué dans la désinformation anti-vaccins en Europe, a massivement promu sur TikTok des contenus favorables à des candidats pro-russes.

    L’enquête menée par Intelligence Online et Snoop.ro révèle qu’AdNow a transféré près de 2 millions d’euros vers des médias roumains entre 2016 et 2020, préparant le terrain pour cette opération d’envergure.

    Le miroir déformant

    Deux récits circulent donc : l’un sans preuve vérifiable accusant la France, l’autre étayé par des investigations croisées impliquant un réseau russe dans une ingérence réelle.

    Ce renversement illustre un mécanisme classique : l’inversion accusatoire. La séquence est révélatrice. L’accusation contre la France est apparue après la révélation de l’opération russe via AdNow. Elle agit comme réponse défensive et offensive, cherchant à créer une fausse équivalence morale.

    L’observateur se voit alors offrir deux issues : soit relativiser l’ingérence russe (« tout le monde le fait »), soit accuser la France à son tour (« ils ne valent pas mieux »). Dans les deux cas, la critique initiale contre la Russie perd sa légitimité.

    Laboratoire roumain

    La Roumanie n’est pas une cible hasardeuse. Point stratégique pour l’OTAN, soutien constant à l’Ukraine, elle représente un espace vulnérable aux récits de division. Les campagnes russes y mêlent bots, plateformes sociales, fausses publicités et désormais projection d’accusations.

    Le Grand Continent documente comment cette manipulation a exploité les algorithmes de TikTok pour faire exploser artificiellement la candidature de Călin Georgescu.

    Ce double mouvement – action réelle plus accusation miroir – constitue une tactique hybride de diversion narrative, testée et rodée.

    Parasite informationnel

    Ce type d’opération ne vise pas seulement à décrédibiliser un pays. Il parasite la capacité d’analyse, brouille les repères de légitimité, ralentit les réponses institutionnelles en noyant les alertes dans un nuage de récits contradictoires.

    Surtout, il rend plus difficile de distinguer information et instrumentalisation.

    Nommer pour démonter

    La solution n’est ni le mépris ni l’ironie. Elle repose sur la nomination rigoureuse des procédés, la déconstruction logique des narratifs non étayés et la documentation des faits vérifiables.

    VIGINUM, le service français de vigilance contre les ingérences numériques, a publié un rapport détaillé sur ces manipulations, alertant sur les risques de transposition en France.

    Ce cas roumain révèle la stratégie russe actuelle : accuser pour disqualifier, provoquer pour brouiller. L’ingérence devient une arme de projection. Et pendant que l’on se défend d’être ce qu’on n’est pas, le récit adverse s’installe.

    La Commission européenne a d’ailleurs ouvert une enquête contre TikTok pour manquements à ses obligations dans cette affaire.

    Dans cette guerre de l’information, la clarté devient résistance.


    Sources principales

    Enquêtes journalistiques :

    • Intelligence Online et Snoop.ro : investigation révélant les activités d’AdNow en Roumanie depuis 2016
    • Next.ink : analyse du rôle d’AdNow dans la désinformation européenne

    Analyses institutionnelles :

    • VIGINUM (France) : rapports sur les manipulations d’information et les ingérences numériques
    • Ministère des Armées français : « Six mois de désinformation russe à l’encontre de la France »

    Sources européennes :

    • Commission européenne : enquête sur TikTok et le Digital Services Act
    • Le Grand Continent : analyse des documents déclassifiés roumains

    Médias roumains et analyses régionales :

    • Fondation Descartes : étude sur la démocratie à l’heure des réseaux sociaux
    • France Info : campagne de désinformation sur Facebook

    Contexte technique :

    • Usine Digitale : aspects techniques de l’annulation électorale
    • Portail de l’IE : analyse des manipulations d’opinion
  • Le teasing du vide

    L’arme du silence bruyant : comment le néant devient narratif

    Dans l’écosystème informationnel contemporain, une nouvelle forme de manipulation narrative émerge avec une redoutable efficacité : le teasing du vide. Cette stratégie d’ajournement narratif ne repose pas sur la diffusion d’informations mensongères, mais sur quelque chose de bien plus subtil et dangereux : l’absence même de contenu affirmé.

    L’arlésienne de la vérité : chroniques d’un mensonge ajourné

    Le teasing du vide fonctionne sur un principe simple mais dévastateur : promettre des révélations explosives qui ne viendront jamais. « Des preuves irréfutables seront bientôt dévoilées », « vous verrez dans deux semaines », « de grandes révélations arrivent » – ces formules deviennent des mantras mobilisateurs sans jamais déboucher sur du contenu vérifiable.

    Cette stratégie présente un avantage tactique majeur : elle échappe à toute réfutation directe. Comment démentir ce qui n’a jamais été dit ? Comment fact-checker une promesse ? Le vide devient un bouclier impénétrable contre la vérification, créant une désinformation fantôme qui flotte dans l’espace public sans jamais s’exposer à la critique.

    Quand croire devient un investissement à fonds perdus

    L’efficacité du teasing du vide repose sur l’activation de puissants biais cognitifs. Les individus qui relayent ces promesses s’exposent publiquement, investissent leur crédit social et deviennent co-responsables du narratif. Le biais d’engagement les empêche alors de faire marche arrière sans perdre la face, tandis que le biais du coût irrécupérable rend psychologiquement coûteux l’abandon d’un contenu sur lequel ils ont misé.

    Plus pernicieux encore, l’effet d’assoupissement théorisé par Hovland transforme ces messages initialement faibles en contenus influents par simple persistance. Face au vide narratif, les spectateurs projettent eux-mêmes les preuves qu’ils attendent. Cette projection cognitive rend la rumeur plus puissante que n’importe quelle « preuve » factuelle, car elle mobilise l’imagination et les fantasmes de chacun.

    La théière de Russell repeinte aux couleurs du complot

    Le teasing du vide opère une inversion redoutable de la charge de la preuve, créant une configuration proche de la théière de Russell appliquée à la désinformation. Il devient impossible de prouver l’inexistence d’un fait dont l’existence n’a jamais été démontrée. Les contradicteurs se retrouvent dans la position absurde de devoir démontrer l’absence de quelque chose qui n’a jamais été établi.

    Cette dynamique transforme toute tentative de réfutation en « preuve » supplémentaire : la critique devient censure, le fact-checking devient manipulation, et le silence devient complicité. Le narrateur sort toujours indemne de ces échanges, parfois même renforcé par l’attention qu’ils génèrent.

    À chacun son fantasme, à tous le même vide

    L’un des aspects les plus redoutables du teasing du vide réside dans sa capacité à fédérer des communautés hétérogènes autour d’un même fantôme narratif. Le vide permet à chaque groupe de projeter son propre fantasme : fraude électorale, complot sanitaire, manipulation médiatique. Cette convergence temporaire démultiplie la viralité du message.

    Les figures qui maîtrisent cette technique capitalisent sur la frustration d’un public en attente de réponses spectaculaires. En adoptant la posture du lanceur d’alerte, elles deviennent le centre d’attraction du récit, utilisant un effet Barnum où chacun pense que le message parle spécifiquement de lui.

    Quand l’absence de preuve devient le cœur du spectacle

    Les exemples abondent dans l’actualité récente. Donald Trump et ses fameux « vous verrez dans deux semaines » qui ne débouchent jamais sur rien de concret. Candace Owens qui multiplie les annonces de « grandes révélations » sans jamais les formuler. Les rumeurs transphobes autour de Brigitte Macron, alimentées par la promesse récurrente de documents « imminents » jamais publiés.

    Ces stratégies révèlent une sophistication nouvelle dans les techniques de manipulation informationnelle, où l’absence de contenu devient plus efficace que la présence de mensonges.

    Une guerre de l’ombre sans contenu, sans issue, sans trace

    Le teasing du vide représente une forme avancée de désinformation asymétrique. Il détourne les mécanismes naturels de l’adhésion cognitive et exploite la plasticité communautaire pour produire un « contenu sans contenu ». Sa capacité à échapper à toute réfutation directe en fait un outil de choix dans l’arsenal des campagnes informationnelles hybrides.

    Face à cette évolution, chercheurs et journalistes doivent développer de nouvelles grilles d’analyse pour décrypter ces engrenages cognitifs invisibles. Car dans l’ère de l’information, ce qui n’est pas dit peut être plus dangereux que ce qui est affirmé.

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